Moncef Marzouki : Mister President
Tawfik Ben Brik – nouvel observateur.com
jeudi 24 septembre 2009
Moncef Marzouki l’emmerdeur. Il nous emmerde et Ben Ali avec. Avec lui, il fallait recommencer par l’essentiel. S’y maintenir. Sur la brèche, sur la ligne de crête, première ligne, ligne de feu, ligne de partage des eaux. Il déraillait. Une façon de dire, ils m’auront peut-être, mais je ne les aurai pas aidés. Une façon de ne pas se rendre. Surtout à l’évidence. Autour de Moncef, les surnoms volent, les alias pleuvent : le Robespierre arabe, le Nelson Mandela Tunisien, le prophète armé. Ah ! Comme il se bat bien ! Et surtout comme il aime se battre ! Ce feu dans la mêlée, d’où vient-il ? De la nuit lumineuse. N’a-t-on prédit qu’il sera président ?
Pourquoi cet exil forcé ?
Moncef Marzouki : la dictature ne met pas en prison les gens comme moi pour ne pas en faire des « martyrs » ou des « héros ». Mieux vaut leur pourrir la vie : maison surveillée, téléphone coupé, visiteurs filtrés… La soft dictature a plus d’un tour dans son sac pour faire de votre maison une prison et à vos frais. Mieux, on a lâché sur moi les voyous. Je ne pouvais plus marcher dans la rue sans me faire insulter. Un jour une femme, s’est jetée sur moi criant au violeur. J’ai du donc partir ne voulant pas que mon combat politique se transforme à de pugilats avec des voyous, ni à une complainte de la victime. De l’étranger je peux encore porter des coups à la dictature. Et de toutes les façons avec l’internet et Aljazira, le fossé entre l’extérieur et l’intérieur a été comblé. Ceci étant, je reviendrai au moment propice.
Vous n’êtes pas tenté de vous présenter pour les élections de 2009 comme vous l’aviez fait en 1994 ?
Moncef Marzouki : En 94, c’était un défi, et cela avait un sens. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque se présenter à de telles élections était un crime de lèse majesté et c’était ce qui m’a valu quatre mois d’ isolement à la prison du 9 avril immédiatement après le soi disant scrutin. Aujourd’hui le tabou a été brisé grâce à ce que certains avaient considéré à l’époque comme un signe de dérangement mental. Mais la dictature s’est adaptée. Elle traite par l’indifférence les outsiders. Puisque aucun risque n’existe plus, chacun peut y aller de son tour de piste le temps d’une bulle médiatique. Pour moi, le combat n’est plus dans une candidature sans impact et sans danger mais dans la recherche d’autres stratégies.
Dans quel contexte se déroulent les présidentielles de 2009 ?
MM : Pour le pouvoir, la Tunisie, c’est la stabilité et le développement. En réalité, c’est la stabilité des marécages. Calme en surface et pourrissement en profondeur. Tout pourrit et se délite : la presse, la justice, la culture, l’enseignement, le système de soins. Et surtout l’âme du pays accablée par une dictature violente, brutale qui étale ses prévarications au grand jour. Quant au développement, à part celui de la corruption, le peuple a du mal à le voir. Deux symptôme qui en disent long sur le mal être du Tunisien : la fuite des jeunes dans les bateaux de la mort vers la Sicile et celle de simples paysans vers la frontière ouest de l’Algérie, phénomène inconnu il y a simplement deux ans. Les émeutes du bassin minier de l’an dernier sont encore brûlantes. C’est tout cela que le pouvoir veut occulter, pour installer la présidence chronique à la place de la présidence à vie abolie par l’homme du changement. Dans la démocratie frelatée de Ben Ali, les élections présidentielles viennent couronner cinq années de répression tous azimut.
A qui profite le maintien de Ben Ali ?
MM : Sur le plan intérieur à une oligarchie corrompue qui a fait main basse sur le pays. Sur le plan extérieur, le maintien de Ben Ali profite à certains gouvernements occidentaux, la France en tête. Ben Ali, comme tous les dictateurs arabes, est un protégé des démocraties occidentales. Elles parient sur ces individus honnis pour maintenir l’ordre dans la banlieue de l’empire.
Comment en sommes nous arrivés là ?
MM : La répression féroce qui a démantelé de la société civile. Le chantage au travail, au passeport, à l’insécurité de l’Algérie voisine, à la menace islamiste, tout cela a soumis la société – de toute façon peu encline à la contestation. Sur le plan international, la guerre contre le terrorisme a fait des dictateurs arabes des intouchables…L’inanité d’une opposition pusillanime qui continue à croire qu’on peut améliorer une dictature, et la pousser aux réformes. Une conjonction de facteurs qui ont fait de notre pays, en transition démocratique dans les années 80, un des pays les plus réprimés du monde arabe et le plus arriéré en matière de libertés.
Comment s’en sortir ?
MM : Sous une dictature même molle comme la dictature tunisienne, il n’y a pas de place pour une opposition sauf encadrée et d’alibi comme celle qui se ridiculise actuellement en voulant participer au jeu malsain des pseudo élections. Il ne peut y avoir que la résistance. Celle -ci ne peut être qu’armée ou civile. Je fais tout pour promouvoir cette stratégie depuis des années. En octobre 2006, j’ai appelé d’Eljazira à une insurrection civile. Echec cuisant. Personne n’a bougé. Ma conclusion : la résistance civile n’est pas pour demain. Ben Ali et les siens ne lâcheront jamais le pouvoir. Le potentiel de violence est là, j’espère qu’on évitera le pire.
Y a-t-il un Tunisien que vous auriez aimé élire à part vous bien sûr ?
MM : Il y a tellement de Tunisien et de Tunisiennes capables de relever le pays de ces 22 années de corruption, de mensonges et de violence. Ici, je parle d’effort collectif. Nous nous sauverons tous ensemble, tous de nous-mêmes. Mais plus personne ne doit jouer au sauveur. On a vu où cela nous a mené : le combattant suprême et son policier.