NOUVELOBS.COM | 27.11.2009 |
L’épingle et la baudruche
lundi 30 novembre 2009
Donc il en a pris pour six mois ce Taoufik Ben Brik qui nous emmerde et Ben Ali avec.
La sentence prononcée par un misérable juge aux ordres répondant au nom de Faouzi Jbali est supposée punir une agression contre une femme éplorée, mais tout le monde sait que c’est pour payer la dernière des nombreuses traites que lui présente régulièrement celui qu’il a qualifié un jour de dictateur de série B.
La querelle qui dure depuis dix ans entre ces deux là est à la fois comique par le style et tragique par le contenu.
Il faut bien comprendre le jeu et l’enjeu de cette affaire.
Ben Ali est donc un dictateur de série B.. Lui et ses sbires sont capables de soutenir sans sourciller que la lune est carrée, qu’il y a deux soleils dans le ciel ; qu’on skie au Sahara douze mois sur quatorze, que un et un font racine de quatre et que cela dépend surtout de la vitesse du vent.
Face à un tel discours, les intellectuels s’étranglent d’indignation, les politiques se lancent dans d’affreuses démonstrations et de lourds démentis : Non il n’y pas de miracle économique en Tunisie, non les droits de l’homme y sont bafoués, non le processus démocratique est un processus de mise au pas de tout un peuple par un régime policier et mafieux.
Peu importe au dictateur ce qu’on dit. N’est-il pas au pouvoir depuis 22 ans ?
Et de reprendre, lui et ses sbires sur le même registre toujours et encore : Non, il n’y a jamais eu de poissons dans la mer, oui les Italiens prennent d’assaut les plages tunisiennes pour manger à leur faim et notre marine ne cesse d’en repêcher au large et de leur servir des Briks au thon, oui le président a trouvé le boson de Higgs et a mis fin à la théorie des cordes tout en calculant au passage l’exacte quantité de CO2 que les USA et la Chine ne doivent pas dépasser pour que le sable de Douz ne recouvre pas les collines verdoyantes de Douga et que Sousse ne se retrouve pas sous 10 mètres d’eau.
Seul Ben Brik a trouvé la parade à ce discours fait d’un mélange complexe de mépris de l’intelligence des autres, de bêtise, et surtout d’arrogance. Au lieu de s’opposer platement à ce verbiage insipide et infantile, il en fait sa matière première. Au lieu d’en pleurer, il en a fait rire tous les Tunisiens et leurs amis de par le monde.
Voilà le dictateur devenu personnage comique… personnage de bande dessinée.
Et voilà les deux hommes, qu’on a de la peine à classer dans la même espèce zoologique agrippés l’un au cou de l’autre.
C’est l’antagonisme irréductible entre le sérieux emphatique du nouveau riche et de l’ironie mordante de l’éternel révolté… entre le sérieux sinistre du fonctionnaire haut gradé qui se veut respectable et la joyeuse insolence du poète subversif.
Le problème est qu’en défiant le monstre, Taoufik a joué et joue de sa vie. L’homme – foi de médecin – est un grand malade et a besoin d’un traitement substitutif lourd et contraignant, qu’une misérable infirmerie de prison est incapable d’assurer. S’il mourait durant ces six mois, la responsabilité n’incomberait pas au dictateur qui ne souhaite rien de plus , mais à nous tous qui ne nous serions pas assez mobilisé pour sa libération.