sur le site Kapitalis
contre la marchandisation de la politique
lundi 30 mai 2011
Lundi, 30 Mai 2011 08:02
Zohra Abid
Pour avoir un rendez-vous avec Moncef Marzouki, président du Congrès pour la République (Cpr), pas besoin de passer par un tiers. Et même s’il est très pris, il répond à l’appel.
Le rendez-vous a donc été pris au téléphone pour un vendredi matin, au 45 rue Ali Darghouth, au centre-ville de Tunis. Aux alentours de la Place Barcelone, dans l’une des rues les plus bruyantes et les plus animées de la capitale, se trouve le siège du Cpr, dans un immeuble qui ne paie pas de mine. C’est ici que Moncef Marzouki, président du Cpr a ouvert il y a un peu plus de deux mois le local de son parti.
Bienvenue chez le Dr Marzouki. Nous sommes au n° 41 du sixième étage. La porte est grande ouverte et il y a du monde.
D’Al-Jazira à Facebook
A l’entrée de l’appartement, le secrétariat de ce parti qui a eu son visa le 18 mars dernier. Tout autour, quatre salles et à chacune son nom. On lit : salle Ali Bach Hamba, salle Zouheïr Yahyaoui, salle Fayçal Barakat et salle Nabil Barakat, une grande figure du réformisme et trois « martyrs » de la liberté en Tunisie.
A l’accueil, une jeune fille belle comme le jour est tout sourire. Elle cause avec de jeunes militants. Son camarade, un peu bouboule, a braqué son regard sur l’écran de l’ordinateur. Il suit ce que racontent les internautes sur les pages Facebook du parti. Bonne nouvelle les gars ! Enthousiastes, filles et garçons racontent que le nombre d’adhérents au parti a atteint 4.000 dans les 14 bureaux régionaux récemment ouverts. « Ohé ! Ça va se multiplier avec l’ouverture prochaine d’autres bureaux régionaux. Je vais balancer ceci tout de suite », a répliqué la jeune fille.
Au siège du Cpr à Tunis : un pour tous, tous pour un.
Ils sont tous des jeunes ? « Pas nécessairement ! Ils sont de tous les âges et de toutes les classes sociales », répond une autre. La blondinette a mis autour du cou un foulard palestinien. Elle tient dans ses bras un rouleau de pancartes et se la joue battante à temps plein. Tout cœur tout âme, elle est contre le report des élections de l’Assemblée constituante pour le 16 octobre et elle se dit prête pour la marche qui aura lieu le lendemain au centre de Tunis.
Dans le groupe, un petit bout de femme décidée. « En ce qui me concerne, M. Marzouki est un savant et c’est lui qui me représente », dit elle. Dans le couloir, une étudiante en médecine bien moulée dans son jean. Elle raconte comment elle est venue au parti. Elle dit que tout remonte à cinq mois, la veille de la chute du régime de Ben Ali. « C’était sur la chaîne qatarie Al-Jazira. J’ai été séduite par le discours vrai et sincère de ce médecin qui, lui aussi, a souffert de la dictature. Après la fuite du président déchu, sur Facebook, avec mes amis, on a longuement discuté à propos de l’homme, de ses idées. Il me semble qu’il est l’un des rares leaders de la place, qui ne sont pas opportunistes. Et c’est lui que j’ai choisi », plaide-t-elle. Bientôt un documentaire belge sur Marzouki et son parti
Un quinquagénaire, tout en sueur, vient de se joindre au groupe des jeunes pour dire que tout est bon en ce concerne le bureau de Sousse. Autre bonne nouvelle ! La salle de réunion grouille de militants. Dans une petite heure aura lieu la rencontre hebdomadaire. A la salle Zouheïr Yahyaoui, des journalistes travaillant pour une chaîne de télévision belge attendent d’être reçus par le président du Cpr. Les journalistes préparent un documentaire sur l’homme. On ne sait jamais ! Le jour J, il y aurait de la matière toute prête ! Dans la salle d’en face, deux hommes sollicitent, eux aussi, une rencontre avec M. Marzouki. Impossible de leur refuser cette audience. Il leur accorde deux petites minutes. Pas plus. Mais il leur accorde quand même un peu de son précieux temps.
Entre deux rendez-vous, le locataire des lieux reçoit Kapitalis dans une pièce exiguë, chichement meublée : deux fauteuils noirs de deux places en similicuir, deux chaises, l’une rouge, l’autre noire et… c’est tout ! Ni affiche, ni slogan sur les murs. A toutes les questions, Moncef Marzouki a la réponse qu’il faut, précise et concise. Pas de blablabla et pas de langue de bois. Ses réponses coulent de bonne source. Ce médecin de carrière semble aussi être à la page du web. Il connaît tous les jargons de l’Internet et des technologies du siècle. Qu’a-t-il à nous dire sur le financement de son parti ? Réponse : « Rien. C’est de l’autofinancement. Pour me déplacer dans les régions, un ami m’a prêté sa voiture pour trois semaines ». On apprend par la suite que la carte d’adhésion est à 10 dinars. Pour les étudiants, 5 dinars et zéro millime pour le chômeur. La politique n’est pas un produit à vendre
Et que pense-t-il des partis s’affichant aujourd’hui sur des panneaux publicitaires dans les rues et des insertions dans les journaux imprimés et numériques ? Il dit qu’il est étonné de voir des partis disposant de tant d’argent. D’où vient cet argent et comment a-t-il été obtenu ? « Je suis scandalisé. C’est un mauvais début pour la démocratie. Quand je vois la marchandisation de la politique, je me dis que ces hommes politiques n’ont pas honte de vendre la politique comme un ‘‘produit’’. Je suis accablé ». Et d’ajouter : « Si les hommes n’ont pas de retenue, la loi doit mettre de l’ordre. J’appelle les hommes qui sont derrière les rideaux à ne pas protéger leurs intérêts par des hommes de paille, mais de gouverner un pays par des principes et des lois ».
Le tout Tunis parle ces derniers jours d’une éventuelle alliance du Cpr avec le parti islamiste Ennahdha ? « Nous avons publié un communiqué pour démentir cette rumeur », répond-t-il. Il est vrai, ajoute-t-il, que le Cpr a de bonnes relations avec les militants d’Ennahdha. Mais au point de… Ennahdha et le Cpr, à chacun son chemin
« En tant que vrais démocrates, nous avons toujours défendu les droits d’Ennahdha à l’action. Mais pour la clarté et la transparence, nous allons présenter des listes du Cpr et pas d’alliance avec n’importe quel autre parti », a-t-il précisé tout en évoquant la nécessité d’avoir un gouvernement d’union nationale, représenté par tous les partis, y compris Ennahdha. Le Cpr, on le sait, tient à la date du 24 juillet pour les élections de l’Assemblée constituante, pourquoi ? « Nous comprenons très bien les arguments techniques. Personne ne doute aussi de l’existence de ‘‘brigands’’ au ministère de l’Intérieur. Mais nos arguments sont politiques. C’est l’intérêt du pays qui exige un gouvernement fort au plus vite », explique-t-il. Selon lui, il faut un système trois fois huit pour que la machine économique reprenne et que le pays sorte vite de la phase de transition et retrouve enfin sa stabilité.
Pour revenir aux campagnes publicitaires des partis politiques, y voyez-vous un intérêt particulier ? Réponse de M. Marzouki : « J’ai lu un document expliquant que le rendement de la pub est très faible et qu’il est dur d’embobiner le citoyen avec de la pub. Vous savez, les Tunisiens font certes l’imbécile, mais au final, ils sont très intelligents. Personnellement, je crois à l’intelligence du Tunisien ».
M. Marzouki se dépêche déjà pour rencontrer d’autres personnes à la salle Nabil Barakati. Dans le couloir, deux garçons lui demandent conseil. Il leur prête l’oreille une seconde. Il opine de la tête puis s’en va. Il est presque midi, le bureau exécutif se prépare pour la réunion hebdomadaire. La salle se remplit peu à peu. L’agenda de M. Marzouki est tout plein. L’homme est attendu dans trois petites heures sur les ondes de Rtci. Courage ! Il répètera peut-être les mêmes choses, mais il saura les dire, à chaque fois, autrement et avec des mots sincères, nets et incisifs, à son image.