Le Parisien
Marzouki, médecin en exil devenu chef d’Etat
jeudi 19 janvier 2012
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Un homme discret. C’est le souvenir qu’a laissé Moncef Marzouki aux habitants du Mont-Mesly à Créteil. Toutefois, à l’époque, il était simplement un médecin qui travaillait dans le quartier, qui donnait du temps à l’association Créteil Solidarités et repartait le soir en métro vers son appartement parisien du XIIIe arrondissement.
Les Cristoliens étaient loin de se douter qu’ils avaient côtoyé celui qui allait devenir le président de la Tunisie. Un an hier jour pour jour, Moncef Marzouki rentrait dans son pays natal après dix ans d’exil. Opposant politique à Ben Ali, il avait dû fuir le régime et avait trouvé refuge en France au début des années 2000. Incognito.
Neurologue de formation après des études à Strasbourg (Bas-Rhin), l’universitaire, spécialiste de la santé publique, va d’abord rejoindre la faculté de médecine de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le cabinet de Jack Lang, alors ministre de l’Education, avait contacté le doyen de Paris-XIII pour débloquer un poste de professeur associé. Lorsqu’Antoine Lazarus découvre qu’il s’agit de Moncef Marzouki, le professeur de santé publique répond au doyen : « Je le connais, je le prends tout de suite avec moi. »
Les deux hommes se sont rencontrés lors d’un colloque d’Amnesty International. A l’époque, Moncef Marzouki préside la Ligue tunisienne des droits de l’homme. Le réfugié restera trois ans à Bobigny. « Il utilisait une méthode d’enseignement très participative. Les étudiants ne s’attendaient pas à cela. Mais cela marchait très bien. » Après Bobigny, l’universitaire survit avec de maigres vacations.
« A certains moments, il a vécu pauvrement, indique Antoine Lazarus. Sans jamais se plaindre. On l’aidait comme on pouvait. » C’est alors que Moncef Marzouki va croiser sur son chemin Bernard Elghozi. Ce généraliste du Mont-Mesly a développé à Créteil un centre de consultations médicales et sociales pour personnes en difficulté, porté par l’association Créteil Solidarités. « Je lui ai proposé de travailler comme chargé de mission en santé publique et promotion de la santé dans le réseau de santé de Créteil, se souvient-il. Il intervenait auprès des habitants sur des questions de santé et, en même temps, il assurait les consultations au centre. Il nous a aidés à organiser le pôle santé publique du réseau. » Le soir, on le retrouvait ainsi dans des réunions de quartier à parler santé. « Il savait expliquer, créer du lien avec les gens », raconte Bernard Elghozi, admiratif. « Il était très discret, se souvient de son côté Aïcha Hachemi, de l’association Elles aussi. Il observait beaucoup, pesait ses mots. Je l’avais rencontré lorsqu’on avait lancé notre atelier sur le cancer au féminin. »
En parallèle, Moncef Marzouki donne des cours à l’université de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne). Et, pour joindre les deux bouts, il remplacera le docteur Elghozi. Il exercera aussi au centre municipal de santé de Gentilly. Les patients appréciaient ce médecin « très à l’écoute, qui prend son temps ». « Lorsqu’il m’a remplacé au cabinet, j’ai constaté qu’il était peu doué en revanche pour tout ce qui était paperasse administrative et informatique », sourit Bernard Elghozi. Mais, à aucun moment, que ce soit au Mont-Mesly ou à Créteil Solidarités, les malades ne soupçonnent qu’un leader politique se cache derrière la blouse. « C’était un Tounsi comme on dit (NDLR : un Tunisien). Mais on ne parlait pas du pays, poursuit Aïcha Hachemi. La dernière fois que je l’ai vu, je m’étais gentiment moquée parce qu’il ne connaissait pas la recette du couscous au poisson, une spécialité tunisienne ! » Quelques mois plus tard, les habitants du Mont-Mesly, le personnel de Paris-XIII découvrent, avec surprise et fierté, que leur médecin, leur collègue est élu président de la Tunisie. « Pourvu qu’il reste comme il était ici pour que le pays évolue correctement », souffle Aïcha.
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