Le Temps
Le Pacte Républicain, c’est de la poudre aux yeux !
dimanche 10 juillet 2011
La Haute instance présidée par Yadh Ben Achour, prête le flanc aux critiques qui fusent de tous bords. Moncef Marzouki, le leader du Congrès pour la République, s’y prête, et s’explique sur les raisons de la ‘’dissidence’’ de son parti.
« Le Temps » : Assisteriez-vous à la réunion qui se tiendra mardi sur invitation du magistrat Mokhtar Yahyaoui ?
Moncef Marzouki : Oui le CPR sera présent à la deuxième réunion de réconciliation qui sera tenue au Conseil de l’Ordre des avocats ce mardi, après en avoir longuement discuté au sein de notre bureau politique. Pourquoi ne répondez-vous pas à l’appel de Ben Achour qui a affirmé son attachement au retour de l’unité au sein de la Haute instance ? Ben Achour nous met dans une logique de force et n’accorde aucun intérêt à ce que nous disons. On n’accepte pas de participer aux travaux de cette instance car on ne se contente pas d’un rôle de simple observateur. On a l’impression que le train est sur les rails et qu’il va dans une direction déterminée à l’avance. Alors, nous descendons du train… J’ai deux demandes. La première consiste à retrouver une formule pour que les décisions ne soient prises par la voie du vote mais par le consensus. Au début on a accepté cette formule car on a cru à tort que les ‘’personnalités nationales’’ dites indépendantes allaient agir en conséquence. Ce n’était pas le cas. La deuxième demande concerne l’avancement des élections pour qu’elles se tiennent en temps utiles. La Haute instance a commencé à usurper le pouvoir législatif de l’Assemblée constituante. Elle a commencé à faire des lois pour les partis et les associations alors que ce sont les prérogatives d’une constituante élue par le peuple qui sera appelée à gouverner la Tunisie et à nommer un gouvernement d’union nationale. On va nous faire comprendre par la suite qu’on a élu une Constituante pour rédiger la Constitutionseulement. Le mandat de Caïd Essebssi doit prendre fin le 23 octobre. Par ailleurs, je ne suis pas contre les directives sur le financement des partis, je n’ai rien à cacher. La preuve, le budget du CPR a été publié sur Internet et je demande aux autres d’en faire autant. Que pensez-vous de la version du projet de décret-loi, ‘’revue et corrigée’’ ? Je ne discute pas la technicité. Mais je suis contre une commission qui légifère à la place de la Constituante. Cela relève de l’absurdité logique. Et ces gens-là le font exprès dans une logique dangereuse qui fera de la Constituante une simple assemblée technique pour discuter de la Constitution. Il y a un vrai conflit politique qui se profile à l’horizon. Pourquoi ne souscrivez-vous pas au Pacte républicain alors que celui-ci consacre le caractère civil de la Tunisie et qu’il renforce les acquis relatifs aux droits de la femme et de la famille ? Qui peut croire que Moncef Marzouki est contre les droits de la femme et de la famille. C’est complètement absurde. J’ai été président de la Liguetunisienne des droits de l’Homme, j’ai été membre fondateur du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), j’ai été dans la Ligue arabe des droits de l’Homme, et j’ai été dans une association africaine qui défend les droits des enfants…Ce n’est pas moi qu’on convaincra quant aux droits de la femme et de la famille. Ce pacte fait partie des manœuvres de diversion qui ont pour but de faire perdre du temps. Ce pacte a été crée tout en étant nimbé de mauvaise foi. Il est mis à l’usage essentiellement dans le combat contre Ennahdha. Je ne suis pas dans cette logique de lutte entre les partis et de querelles idéologiques. Je ne rejette pas le pacte pour son contenu mais pour l’utilisation qu’en font certaines parties. Vos détracteurs prétendent que vous vous alignez sur Ennahdha. Que leur répondez-vous ? Nos adversaires veulent nous discréditer à tout prix. Je rejette cette accusation. Il n’y a aucune alliance secrète entre le CPR et Ennahdha. Le rapprochement de nos analyses ne diminue en rien le crédit qu’on a auprès de l’opinion publique. La question reste à savoir si l’on prend les bonnes décisions qui versent dans l’intérêt du pays. Et contrairement à ce qui a été dit dans la presse, le CPR n’a pas campé sur ses positions. Nous n’avons pas quitté la Haute instance mais avons suspendu notre participation à ses travaux. Nous avons envoyé un signal à cette commission car il y a un certain nombre de choses qui ne peuvent plus passer. Nous demandons à ce que les ministres de l’intérieur et de la justice soient interrogés pour expliquer les bavures à Metlaoui, et se justifier face à l’accusation lancée contre la police, laquelle est montrée du doigt pour avoir sous-traité avec des voyous pour tabasser des citoyens. Le cas Samir Feriani doit être également éclairci : est-ce que cet homme a vraiment menti ou est- ce que ses accusations sont fondées ? Quelles garanties pour que durant le mois de Ramadan il n’y ait pas de faux-barbus qui attaqueront les jeûneurs ? On a l’impression que des gens soufflent sur le feu et on a besoin de savoir où en sommes nous par rapport aux objectifs de la Révolution. Le ministre de la justice doit s’expliquer sur les raisons du retard des procès s’un certain nombre de gens ayant assassiné des citoyens. Pourquoi on nous fait ce cirque du procès Ben Ali pour amuser la galerie et qui, par ailleurs, nuit à la réputation dela Tunisie. Pensez-vous qu’il y a une sorte de cabale organisée dans le paysage politique ? Ben Achour et Essebssi ont abusé de notre bonne foi. Et si on a été trompés une fois on ne sera pas laissé faire pour une deuxième fois. On nous a floués au niveau de la date. J’ai été reçu deux fois par Essebssi qui m’a promis que la date sera maintenue pour le 24 juillet, alors qu’il savait que cet engagement ne serait pas honoré. Il y a un grand problème de confiance car ces responsables, je veux dire Essebssi et Ben Achour, veulent jouer aux malins. Ceux qui nous gouvernent doivent faire attention car nous sommes dans un tournant historique avec un grand H et le peuple n’est pas dupe. Les manœuvres politiciennes ne refroidissent pas le peuple, car celui-ci emmagasine une profonde colère qui peut exploser à tout moment. Le peuple est impatient et est de mauvaise humeur. Ceux qui nous gouvernent doivent faire en sorte qu’un homme politique comme moi ne désespère pas et que la jeunesse ne se révolte pas et ne descende pas dans la rue pour crier « Béji dégage ! ».
Mona BEN GAMRA