L’identité française : Un regard externe
mardi 9 février 2010
Il manque au débat en cours sur l’identité nationale des Français l’éclairage instructif de la comparaison pour aider les uns et les autres à relativiser et à mieux comprendre autour de quoi ils se querellent.
Rien ne ressemble davantage à un intégriste musulman qu’un intégriste juif, chrétien ou Hindou et rien ne ressemble plus à un débat sur l’identité nationale qu’un autre débat sur l’identité nationale, et ce quel que soit le pays. De l’autre côté de la Méditerranée, l’identité arabo- musulmane donne lieu depuis un demi-siècle à un débat féroce. À l’échelle de la nation, cette identité se réduit pour la majorité à affirmer notre singularité par rapport aux juifs, occidentaux et autres « infidèles ». Mais c’est la situation pays par pays qui est intéressante car elle révèle toute la richesse et la complexité de la problématique.
Dans la région du golfe, où les Arabes du cru ne sont plus que 10% de la population, le cément qui les unit est fait de sentiment de propriété de la terre, de supériorité et surtout de peur d’être engloutis par le flot des « Wafidin ». Ce terme veut dire arrivants, mais n’est pas loin de signifier envahisseurs. Le plus intéressant est que les « Golfiens » englobent dans le même vocable les Occidentaux, les Tamouls, les Philippins et autres asiatiques, mais aussi les Egyptiens, les Palestiniens et les Marocains. Ces Arabes musulmans sunnites sont ressentis comme plus menaçants car pouvant réclamer, du fait des forts liens avec les autochtones, la nationalité et l’installation, avec ce que cela implique de droit au Magot. Au Liban, l’identité se construit dans la coexistence et la confrontation des confessions, mais aussi dans la mise à l’écart des Palestiniens depuis un demi-siècle de peur de les voir perturber le délicat équilibre confessionnel. En Egypte, le legs pharaonique et chrétien est massivement refoulé au profit d’une appartenance plus islamique qu’arabe. Au Maroc et en Algérie, le retour du refoulé entraîne une empoignade dangereuse entre les nationalistes arabes et Amazighs (berbères), ces derniers exigeant de redéfinir le Maghrébin en y mettant moins d’arabité et plus « d’Amazighité ». En Tunisie, la question est : « sommes-nous plus Méditerranéens que Moyen -Orientaux ou l’inverse ? ». Les bourgeois de Carthage sont pour tirer l’identité plus vers la mer et les paysans du sud plus vers le désert. * De la participation sur plus d’un quart de siècle à des joutes oratoires sans cesse recommencées autour de la lancinante problématique, on finit par repérer la typologie des acteurs, les lignes de force de l’argumentaire et surtout les deux grandes écoles de pensée qui les sous-tendent.
La première défend une identité par opposition. C’est la différence – et de préférence radicale- qui fonde aussi bien le soi individuel que le soi collectif. Elle assigne à l’autre, rejeté et maintenu à distance, le rôle de référence négative.
La seconde défend une identité par apposition. Dans ce discours, l’identité d’un peuple se construit à la manière des couches géologiques de la nature, sauf que c’est l’histoire des rapports avec tous les autres qui incorpore et superpose les couches du relief social. Ici, l’identité n’est pas un processus achevé, la dernière couche restant grande ouverte aux appositions en cours ou à venir.
Dans le monde Arabe, comme en France et ailleurs, ce sont là deux discours aux antipodes, jacassant chacun de son côté et totalement sourd à toute critique venant de l’autre partie.
Inutile d’aller dire aux « oppositionnistes » que l’autre est toujours constitutif de leur identité. Combien de Français se rappellent que Saint Denis leur est venu d’Italie et Saint Martin de la Roumanie d’aujourd’hui ? Tout aussi inutile est d’essayer de leur faire prendre conscience que ce qu’un peuple produit de plus grand et de plus beau finit toujours par basculer dans l’escarcelle de l’universalité en devenant la propriété de tous les autres hommes et qu’il ne leur reste pour fonder leur spécificité que le résidu de culture qui n’intéresse pas grand monde.
De la même façon, inutile de perdre son temps avec les « apposisionnistes » et de leur dire qu’ils perdent le leur en s’étranglant d’indignation contre la « bêtise » ou la « xénophobie » de leurs adversaires. Et pour cause : ces positions comme les leurs traduisent chacune une partie de nos pulsions les plus fondamentales et ces pulsions sont elles-mêmes antagonistes.
Le clan primitif d’il y a cinquante mille ans s’est transformé en tribu, peuple, nation ou communauté de nations partageant la même civilisation, mais certaines contraintes essentielles n’ont pas changé.
Il faut protéger le clan du plus dangereux des prédateurs, à savoir l’autre clan. Cela exige l’extrême cohésion de ses membres autour du plus fort dénominateur commun : le même « sang ». Mais dans sang il y a aussi consanguinité, une terrible menace pour la survie. Alors il faut aller la nuit voler quelques femmes chez l’ennemi haï et redouté pour qu’elles portent les enfants du clan, puis apprendre avec le temps à les négocier, elles et tout ce qui va avec. Mais ce ne sont pas seulement les gènes qu’il faut échanger. Sont tout aussi nécessaires tous les trucs de la survie, les produits et même les confidences écrites, peintes, ou chantées sur le terrible destin commun.
Tel est le dilemme de toujours : pour survivre il faut rejeter l’autre et l’incorporer, le fuir et lui courir derrière.
Les hommes étroits d’esprit et de cœur, nostalgiques du passé et effrayés par l’avenir défendront toujours l’identité par opposition. Les hommes larges de cœur et d’esprit, effrayés par le passé et nostalgiques de l’avenir, défendront toujours l’identité par apposition. Les uns comme les autres ne sont que les porte-parole de la conjoncture historique et du climat social. En période de vaches maigres, ce seront les « oppositionnistes » qui auront voix au chapitre surfant sur la peur et la paranoïa.
Si le débat qui sévit en France actuellement sent le roussi, c’est parce qu’il est révélateur d’une crise franco-française. En période de vaches grasses, ce seront les « apposissionnistes » qui profiteront du relâchement des tensions pour faire avancer la conscience collective vers notre dernière couche commune de l’identité : celle de l’appartenance au grand peuple de l’humanité et à la patrie des patries : la terre.
Les deux approches de la question sont comme les parallèles de la géométrie, coexistant côte à côte et appelées à ne jamais se rencontrer. Mais ni les tenants de l’une ou de l’autre n’empêcheront régressions et avancées dans un processus où l’identité des hommes et des peuples continuera jusqu’à la fin des temps à se faire et par l’opposition et par l’apposition.