Dans ’’ L’Audace’’3- 16 Mars 2011
L’aéroport
mercredi 9 mars 2011
L’aéroport de Tunis a toujours constitué pour moi une sorte de barrière psychologique car l’endroit d’une immanquable confrontation, au mieux désagréable, au pire dangereuse.
Je ne compte plus le nombre de fois où à l’arrivée on m’a dit de me mettre à côté en attendant d’être embarqué, pas plus que le nombre de fois où à la sortie on m’a renvoyé dans mes foyers avec ou sans le passeport. Je ne compte plus aussi le nombre de fois, où pendu au téléphone, je suivais anxieusement minute par minute le calvaire de Raouf Ayadi de Neziha Rjiba ou de Radhia Nasraoui et bien d’autres amis, agressés, brutalisés, soumis à une humiliante fouille corporelle. Pour des milliers de simples citoyens le lieu était de la première peur quand on arrive et celui de la dernière peur quand soulagé on accède enfin à la salle d’embarquement.
Quel grand jour pour moi, pour Ghanouchi et pour des milliers de Tunisiens que le retour au pays par cet endroit si craint et si détesté jadis !
Relatant l’extraordinaire accueil que m’ont réservé les Tunisiens dans le hall de l’aéroport, Un journaliste à titré sobrement son papier : Il est revenu et ils sont partis.
Oui je suis revenu, nous sommes revenus et ils reviendront tous, ceux qui piaffent d’impatience de retrouver le pays si désespérément aimé, accueillis à bras ouverts, les larmes aux yeux et la joie dans le cœur, fêtés, choyés …y compris par les agents de sécurité. Eux, ils sont partis comme des voleurs surpris par la patrouille de nuit, couverts d’opprobre et de mépris, rejetés pour ne pas dire vomis par tout un peuple. Qui a dit qu’il n’y a de justice que dans le ciel ?
Quelle revanche pour les opprimés , les exilés et les résistants et quelle défaite pour eux , les arrogants , les violents , les oppresseurs , les puissants d’une époque qu’ils ont cru éternelle .
J’ai cru durant les eux semaines folles qui ont suivi mon arrivée à Tunis –Carthage avoir pris le pouls du pays. Erreur. C’est à l’aéroport de nouveau en m’apprêtant de m’embarquer pour Paris que j’ai réellement mesuré l’ampleur du changement .
A l’arrivée dans le hall je fais face à une manifestation. Qui aurait pu imaginer qu’on puisse manifester dans ce lieu ? Or ils ne se sont pas ménagé les bagagistes en grève criant pour réclamer à la fois leurs droits et le départ de ‘’Jrad le grand corrompu’’ L’un de mes accompagnateurs me dit ‘’ oui qu’il dégage mais toi je doute que tu puisses partir.
Voilà une grève fort sympathique surtout en cet endroit et Peu importe que je parte lui dis-je.
Une fois les formalités de police et de douane expédiés (avec quel zèle et respect) me voilà entouré par une bonne dizaine de femmes de ménage en blouse bleue et me racontant une histoire sordide d’exploitation. Un certain Fredj Gdoura, grand criminel de la police politique de Ben Ali s’est fait adjuger comme beaucoup des chefs de la police une situation de rente en récompense de sa fidélité.
La sienne consiste dans l’exploitation exclusive du service de nettoyage des aéroports et cela passe par l’exploitation éhontée de ces pauvres femmes payées 180 dinars par mois et encore quand elles sont payées. Ne parlons pas de congés ou de couverture sociale .Les femmes réclament justice et semblent bien décidées à l’obtenir et peu importe enfin qui est ce Frej Gdoura qu’elles ne redoutent plus.
Quelqu’un peut-il m’expliquer c’est quoi un tel individu et je ne parle pas du grand criminel que fût son maître en fuite. Comment de tels hommes peuvent-ils exister et que nous apprennent-ils sur les noirs abysses de l’âme humaine ?
Brusquement je suis assailli par trois jeunes policiers du contrôle des passeports .Ils veulent que je retourne avec eux aux guichets où leurs collègues se sont mis en grève à leur tour. Je demande des explications Le jeune homme s’étranglant d’indignation me dit : Un citoyen n’a pas rempli son formulaire de sortie, je lui ai demandé poliment son adresse pour compléter à sa place, savez vous ce qu’il m’a répondu ? Il m’a dit cela ne te regarde pas sale con !
Sa jeune collègue crie d’une voix haut perchée : Les passeports, on ne me les donne pas, on me les jette à la figure !!
A peine remis de ma froide colère, j’éclate de rire. Petit goût de revanche en pensant à ces mornes queues de gens anxieux serrant les poings avant de passer devant un fonctionnaire froid nimbé de sa toute puissance et tapotant avec une lenteur affectée sur son ordinateur.
C’est là que je mesure le formidable renversement qui a eu lieu depuis le 14 Janvier. L’Etat policier vivant par la peur et la soumission a vécu. Oui c’est cela in-fine la Révolution : La fin de l’Etat policier et du fonctionnement des ressorts psychologiques qui l’ont fait tenir si longtemps.
Maintenant la suite : transformer la révolution dans les têtes en révolution dans les textes, les attitudes et les comportements. Mais ça c’est une autre histoire, on aura mille occasions pour en parler. Pour le moment laissez moi savourer ma joie d’aller et venir en toute quiétude, à la main et bien en vue un numéro ce journal qui a le plus donné à la résistance et à la Tunisie des vingt dernières années : l’Audace
*****