Il faut aller vite aux élections
mercredi 25 mai 2011
Entretien | Moncef Marzouki, opposant de l’ex-dictateur Ben Ali, plaide pour l’élection rapide d’une Assemblée constituante
Manifestations violentes. Mort d’un jeune manifestant à Soliman. Couvre-feu à Tunis, la capitale. La fin de semaine a été agitée en Tunisie. Le premier ministre du gouvernement provisoire Béji Cäid Essebsi a évoqué un éventuel report de l’élection de l’assemblée constituante, prévue le 24 juillet prochain. Pour Moncef Marzouki, 66 ans, président du Congrès pour la République et ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, il faut au contraire aller vite.
Interview.
Reporter l’élection de l’Assemblée constituante prévue le 24 juillet vous semble-t-il raisonnable ?
En aucun cas. Ce serait une décision inacceptable et irresponsable. La Tunisie doit sortir rapidement de cette phase intermédiaire pour retrouver la stabilité. Car ce sont les forces contre-révolutionnaires qui misent sur l’instabilité et le flou. Elles peuvent ainsi se mettre en ordre de bataille, avancer et empêcher que des secteurs comme la police ou l’information ne soient réformés. Les changements constitutionnels doivent donc avoir lieu rapidement. Dès 2012, tout doit être en place, dont une nouvelle Constitution, pour tenir les premières élections libres. Stagnation économique et vide du pouvoir sont les meilleurs moyens de favoriser les extrémistes de tous bords.
Pour cette élection, plus de 50 partis se sont annoncés. La garantie d’une instabilité gouvernementale permanente, avec des petites formations versatiles ?
La multiplication des partis est une chose normale dans une période de transition vers la démocratie. On l’a vu au moment de la révolution des œillets au Portugal. Mais il y aura des regroupements autour des cinq grandes familles politiques : Ennahdha, pilier principal de l’islam politique ; le Parti communiste ouvrier ; le Forum démocratique pour le travail et les libertés ; le Parti démocratique progressiste ; le Congrès pour la République, ma formation.
Reste que même en Tunisie l’inquiétude autour d’un raz de marée islamiste existe…
Si Ennahdha devait l’emporter, il faudra les laisser gouverner. La pire erreur serait de faire comme en Algérie au début des années 90 et d’annuler un verdict populaire. Avec, comme résultat, une guerre civile et des centaines de milliers de morts. Mais je suis confiant. Les votes des femmes, de la classe moyenne et de la gauche seront des facteurs modérateurs.
Ne péchez-vous pas par optimisme ?
Voilà des craintes typiquement européennes ! L’islam politique ne se résume pas au radicalisme religieux. Les courants modérés, comme l’AKP qui gouverne la Turquie, existent. Ils se rapprochent du conservatisme des démocrates-chrétiens européens. La constellation islamiste est hétérogène. L’important est de mettre en place des institutions ne permettant pas de coups d’Etat légaux, et qui prévoient des contre-pouvoirs démocratiques. La démocratie est certes un risque, mais un bon risque ! Je suis optimiste : les Tunisiens vont saisir cette chance historique.
Quelle peut être la contribution de la Suisse à la transition en Tunisie ?
A court terme, un dossier a une composante psychologique essentielle : celui de la restitution des fonds détourné par Ben Ali et compagnie. Votre approche ne doit pas être juridique, mais bien politique. Ce premier geste est attendu. Au début du mois de mai, la présidente de la Confédération s’est engagée pour une résolution rapide du problème. Reste maintenant à passer de la parole aux actes.